Vendredi 20 décembre 2024, voilà trois semaines que nous avons quittés les Canaries et il nous reste 40 heures de navigation avant de mouiller l’ancre en Martinique.
L’ambiance est bonne à bord de Menyr qui avance entre 6 et 8 nœuds poussé par les alizés. Aujourd’hui ressemble à hier, le ciel est bleu et parsemé de cumulus de beau-temps, alors que la météo prévoyait de la foudre. Hier aussi elle s’était trompée. Nous arrivons bientôt, nous avons toujours des légumes frais, de la charcuterie, environ 200L d’eau potable dans nos réservoirs et les ¾ du réservoir de gazole. On s’est bien débrouillé jusque-là !
Nous sommes 4 à bord, Morgane, Joris, Raquel et moi. La nuit est divisée en 5 quarts : 18h-22h, 21h-1h, minuit-4h, 3h-7h et 6h-10h. L’un d’entre nous fait le premier et le dernier, avec ce rythme nous assurons la veille permanente. Si le vent tourne ou quoi que ce soit nécessite mon intervention, l’équipier de quart vient me réveiller. Étant chef de bord je n’ai pas tout à fait le même rythme car mon attention est focalisée sur la conduite du bateau, nous amener à bon port dans les meilleures conditions possibles.
Vu d’aujourd’hui Gran Canaria semble loin géographiquement comme dans le temps. Il faut dire qu’il s’est écoulé trois semaines jours pour jour depuis notre départ et que nous avons parcouru 2500 milles nautique depuis ! Les journées se ressemblent tout en étant différentes. Nous sommes toujours sur la mer, parfois avec des nuages parfois sans, la houle change un peu et le vent aussi mais globalement les changements sont subtiles.
Semaine 1, la descente vers les alizés
Quand on pense à la première semaine le paysage psychologique est complètement différent. Nous sommes toujours sur Menyr, sur l’océan au portant, mais même si nous ne les voyions plus nous sentions la présence des Canaries tout près derrière nous, l’Afrique sur babord et le Cap Vert droit devant.
Cette première semaine était très difficile pour moi, dès le premier soir nous n’avions pas le vent prévu par le bulletin. J’aurais aimé faire une route vers l’ouest dès les Canaries sans trop nous rapprocher du Cap vert afin de réduire la distance à parcourir. La météo en a décidé autrement, une large zone orageuse nous barrait la route sur toute la partie ouest de l’axe Canaries – Cap vert. Donc nous avons opté pour une route standard : prendre la bretelle sud en direction du cap vert qui nous amène sur l’autoroute des alizés.
J’ai beaucoup manœuvré jour comme nuit et quasi-seul, l’équipage ne connaissant pas encore suffisamment le bateau. Le rythme m’a rapidement fatigué, les choix de routage m’ont stressé et nous avions encore quelques petites choses à régler que nous n’avions pas pu faire avant de lever l’ancre. Comme découper à la scie sauteuse du contreplaqué en pleine mer pour fabriquer le support du jambon Ibérique de 8Kg qu’on a acheté la veille du départ…
La routine s’est tout de même mise en place assez facilement. Chaque soir à minuit nous commençons une nouvelle page du livre de bord. Nous y renseignons le niveau des trois réservoirs d’eau douce entre autres. C’est ainsi que le quatrième jour nous avons constaté que le réservoir de 200L n’était rempli qu’à 40% alors qu’il avait 95% la veille, nous avons donc perdu 100L en quelques heures !! Il a fallu peu de temps pour s’apercevoir que nous n’avions pas fermé le robinet de la douche extérieure. En remettant le pommeau dans son emplacement il est facile de laisser un filet d’eau s’écouler. C’est ainsi que le bateau s’est à la fois vidé et rempli de notre précieuse eau douce ! C’est rageant quand on sait que j’ai posé ce robinet il y a un mois justement pour prévenir cette fuite…
Finalement, nous avons trouvé un vent portant qui nous a permis de nous rapprocher du Cap Vert tout en observant les éclairs très loin à l’ouest pendant toute la semaine. Nous pêchons une dorade coryphène que nous avons dégusté avec plaisir, croisé peu de cargos et seulement deux voiliers. Le temps me semble déjà long, on n’en finit pas de se rapprocher du cap vert, on a hâte de tourner à tribord et de profiter enfin des fameux alizés tout droit vers les Caraïbes !
À ce moment-là, nous ne savions pas que l’on serait accueillis par notre ami l’Arcus !
Semaine 2, surprise au tournant!
Alors que nous prenions notre cap à l’ouest au nord du cap vert, nous avons eu nos premiers orages dans la nuit du jeudi 12 au vendredi 13 décembre. On les observait à l’écran de notre radar flambant neuf : il se forment rapidement et se déplacent en tournant vers la droite sous l’effet de la force Coriolis. En voyant leur trajectoire nous slalomant entre eux toute la nuit. Les grains sont partout autour, leurs éclairs aussi. Vers la fin de la nuit l’un d’entre eux se forme à notre sud-est, et en un rien de temps il est devenu colossal à tel point que l’écran du radar est entièrement rouge alors qu’il couvre tout de même 24 Milles nautiques ! Bref, de celui-ci nous n’avons évité que la partie la plus active et réussi à en rester relativement éloigné tant bien que mal. Avec Raquel et Joris nous avons admiré les zébras des éclairs rapidement suivis du tonnerre fracassant. Un formidable spectacle que je trouve toujours anxiogène quand on est le seul mat en métal sur l’immensité de l’océan.
Heureux d’avoir passés ces épisodes orageux toute la nuit blanche, j’étais allé me coucher après le lever du soleil. 20 minutes plus tard les bruits du bateau me réveillaient et Morgane m’annonçait une bascule de vent de 120 degrés. Quelques instants après elle m’annonçait un horizon « gris » et effectivement un bel Arcus était en train de se ruer sur nous. L’arcus est un nuage en forme de rouleau que l’on observe à la base d’un cumulonimbus très actif, en clair il n’annonce pas du beau temps ! Il nous passe dessus, le vent monte à 40 nœuds, la houle se transforme en magnifiques dunes bleues sous l’effet de la pluie qui tombe en déluge combiné au vent fort. Nous sommes émerveillés devant ce spectacle pendant quelques courtes minutes, puis nous essayons d’aller vers le sud pour en sortir au moteur, mais c’est inutile ! Nous nous enfermons à l’intérieur et attendons que ça passe à sec de toile dans l’inconfort le plus total. Morgane, insensible aux mouvements du bateau qui bouchonne dans la tourmente, nous cuisine des pâtes au chorizo !
Après quatre heures de repos je fais un point de la situation avec l’équipage. Le bulletin météo que j’avais indiquait quelques orages mais pas une bascule de vent de quasi 180 degrés sur la moitié de la journée. Le bateau est trempé par la tourmente et sans dessus dessous. Je prends la décision de contacter notre contact à terre pour savoir s’il n’y aurait pas un phénomène météo plus global qui serait en train de se produire et que je ne peux pas voir avec mon petit Garmin InReach qui ne nous donne pas la situation générale. En attendant sa réponse nous prenons la route vers Mindelo au Cap Vert, là-bas nous pourrons récupérer les 100L d’eau douce que nous avons précédemment perdu, nettoyer et sécher le bateau. Nous sommes au point de non retour, si on part vers les Caraïbes maintenant on ne peut plus revenir en arrière ! Sur la route nous avons fait un état des lieux plus précis, calculé que nous avons largement suffisamment d’eau pour traverser et reçu le bulletin météo complet qui est favorable pour traverser.
Nous avons alors mis le cap au 270 en direction de la Martinique, c’est comme ça que la deuxième semaine a commencé !
Ça y est ! Nous avons fini de partir pour de bon, l’Afrique est dans notre dos, nous voici sur la route des Caraïbes !
Nous avons avancé rapidement au portant dans des alizés à 20-25 nœuds. Sous génois seul tangoné que nous enroulions et dérouillions en fonction de la force du vent nous avancions à 5 nœuds, Menyr roule fort dans les 2 à 3m de creux. Au bout de deux jours ainsi j’ai refait mes calculs et réalisé que nous arriverions à Noël à ce rythme là – Il était temps de se mettre à naviguer pour de bon et faire avancer le bateau. Avec la trinquette et le génois tangoné nous avons pu augmenter notre moyenne au-dessus de 6 nœuds avec des pointes à 8-9 nœuds. L’ETA revient autour du 22 décembre, c’est mieux !
Semaine 3 le début de la fin
Nous y sommes ! Nous avions placé un point imaginaire au milieu de l’Atlantique que nous avons appelé « Midway », rien à voir avec l’île historiquement célèbre dans le Pacifique. Avant de l’atteindre nous étions en train de partir, depuis que nous l’avons passé nous arrivons. Psychologiquement ça change beaucoup de choses !
Juste avant de l’atteindre nous avons croisé un catamaran Français que nous avions rencontré à Las Palmas de Gran Canaria. Le premier voilier croisé depuis 10 jours. Les poissons volants recommencent à s’écraser sur le pont chaque nuit ! Par contre nous n’avons eu aucune touche, pas un poisson n’a mordu à notre hameçon depuis que nous avons perdu notre gros rapala. Apparemment les poissons hauturiers aiment les leurres de grande taille, il faut dire qu’on avance trop vite pour les plus petits.
Au moment où nous passions « Midway » un morceau de filet de pêche s’est coincé dans notre hélice, Morgane pour son plus grand bonheur est allé le décrocher et à l’occasion s’est baignée en plein milieu de l’Océan ! Moi, je n’étais pas vraiment en forme. La météo annonçait très peu de vent pour la suite et beaucoup d’orages. J’étais soucieux de passer la dernière semaine de la traversée à manœuvrer dans tous les sens pour utiliser le peu de vent prévu, jongler entre les grains pour pouvoir avancer. J’avais envie d’arriver.
Finalement le vent était au rendez-vous à mon plus grand bonheur, nous avons fait quasi route-directe avec une moyenne au-dessus de 6 nœuds en journée. Le ciel est très surprenant, la journée il se forme de petits cumulus ici, parfois les stratus viennent recouvrir le ciel et empêchent nos panneaux solaires de compenser notre consommation électrique. Le soir au coucher du soleil les nuages disparaissent tous en un rien de temps. Quelques minutes plus tard la nébuleuse revient et cachent les étoiles aussi rapidement qu’elle avait disparu, 2 minutes trois au plus, c’est très surprenant. Les grains se forment aussi rapidement mais ne sont pas violent, certains nous donnent un peu de pluie et font varier légèrement le vent mais globalement les conditions sont très confortables pour avancer, et vite.
Conclusion
Nous avons passé toute l’année à préparer Menyr pour notre tour du monde. Nous avons fait refaire et upgradé le gréement, retiré le teck du pont, posé un portique avec de nouveau panneaux solaires, refait le circuit électrique, changé des instruments, sablé la coque, fait une maintenance très avancé de quasiment tous les systèmes du bateau, refait des vernis et construit des meubles. J’ai quelques brouillons d’articles qui détaillent ces travaux, mais je n’ai pas trouvé le temps de les terminer ni de les publier. Avec ce rythme et travaillant à plein temps, Raquel et moi étions surmenés lorsque Morgane et Joris sont arrivés.
La blague de dernière minute fut la livraison de notre régulateur d’allure qui a été bloqué par les douanes. Commandé six mois à l’avance, nous l’avons reçu le lendemain de l’arrivée des équipiers. Cela nous aura couté trois jours d’installation, du temps précieux que l’on aurait pu utiliser pour autre chose. Par example pour construire un support de jambon, profiter des derniers instants à terre etc.
In fine nous avons atteint notre objectif de traverser cette année avec un bateau prêt. Si notre préparation s’est faite dans la douleur avec Raquel nous ne sommes pas peu fières de ce que nous avons accomplis en si peu de temps.
Nous sommes prêts à profiter pleinement des Caraïbes !
Bravo l’équipage de Menh’ir , bravo Vincent 👋👋👋
Vous l’avez fait 👍
Eh bien, quelle aventure ! Heureusement que nous n’avons pas su dans quelle situation vous étiez la 1ere semaine ! Ce n’était pas rien d’affronter cette météo pour une 1ere traversée, et même si le stress a été maximum pour toi Vincent, tu as su gérer ! Et bravo aussi à l’équipage de choc 🙂 Merci pour ce récit détaillé, passionnant et sans faux semblants. L’avant/après du jamon m’a bien fait rire ! Profitez maintenant de votre séjour aux Caraïbes, et appréciez le calme revenu sur votre valeureux Menyr !
Ouah ! Quelle aventure ! Trop content de te lire à nouveau et de vous imaginer au milieu de toute cette immensité. Bon courage pour la suite du périple.
Gros bisous !
Hello,
Bravo et merci pour ces nouvelles toujours aussi intéressantes !
Bisous et excellente année 2025
Eh bien, quelle aventure ! Heureusement que nous n’avons pas su dans quelle situation vous étiez la 1ere semaine ! Ce n’était pas rien d’affronter cette météo pour une 1ere traversée, et même si le stress a été maximum pour toi Vincent, tu as su gérer ! Et bravo aussi à l’équipage de choc 🙂 Merci pour ce récit détaillé, passionnant et sans faux semblants. L’avant/après du jamon m’a bien fait rire ! Profitez maintenant de votre séjour aux Caraïbes, et appréciez le calme revenu sur votre valeureux Menyr !
Trop contents pour vous les copains, profitez un Max et on vous attend pour nous raconter tout ces beaux souvenirs que vous aurez.
Bravo à vous deux 🤗👍 !! Magnifique reportage, photos sublimes….. encore bravo à l’équipage et joyeux réveillon sous les tropiques 💛🥂🎉🌴🥳
Quelle aventure!! Bravo d’abord pour la préparation même si la planche à découper le jambon n’était pas prête avant le départ…et bravo pour cette traversée sans embûches. C’est une super expérience pour chacun d’entre-vous. Elle fait partie désormais de votre chemin de vie.
Enjoy dans les Caraïbes!!!
Bisous à tous
De la part des Leblanche’s
Hello Vincent,
Je ne sais pas pourquoi (ou plutôt si je sais 😉) mais rien ne m’étonne dans ce que tu écris, nous savions que tu avais une âme d’aventurier … mais pas le genre qui cause dans les bistrots du port … un qui dit (pas trop) mais qui fait … comme on dit en Bretagne : »un faisou pas un causou ! » Merci de faire ce que nous n’avons pas fait
Marie me dit de te dire : « que de chemin parcouru depuis le carénage d’Iceni et les 3 brouettes de moules que tu as vidées dans le port 😂 »
Encore Bravo, bise à l’équipage
Marie et Philippe
Mariés depuis le 31 août 🥰
Wouah extraordinaire !!!
Félicitations pour ce magnifique périple !
Un superbe réveillon à cet équipage sous les tropiques
Que du bonheur, de recevoir les photos ainsi que le récit de vôtre navigation après une âpre et belle préparation qui confirme le sérieux que vous incarnez. Félicitation à vous quatre pour cette traversée.
Mais, attention à ce que les Martiniquais appellent « le décollage » surtout demain matin pour les voeux de 2025 que nous vous souhaitons. (Santé, Joie de vivre, Aboutissement de vos désirs)
Bravo !super Vincent !Je viens de découvrir ton blog qui pour une raison mystérieuse était dans les spams ! Récit très intéressant qui nous fait vivre vos aventures ,frayeurs et bonheur …Chapeau les marins !